Le conseiller municipal
de Courbevoie Arash Derambarsh, est devenu en quelques mois "la"
figure internationale de l’anti-gaspillage alimentaire. Retour sur le parcours
de ce militant populaire et ambitieux, reçu jeudi à l’Élysée.
Arash Derambarsh fait
partie de ces hommes politiques que l’on devine tout de suite ambitieux,
persévérant - voire impatient - mais indéniablement courageux. Du haut de ses
35 ans, ce conseiller municipal divers droite de Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine,
peut se vanter d’avoir défié le puissant lobby agroalimentaire français et
d’avoir réussi à le faire plier.
Comment ? En partant en
croisade contre le gaspillage alimentaire. Le 21 mai dernier, l’Assemblée
nationale a voté - à une rare unanimité - l’interdiction pour les grandes
surfaces de jeter leurs invendus ou de les rendre impropres à la consommation,
notamment en les aspergeant d’eau de Javel. Désormais, les supermarchés devront
s'efforcer de nouer des partenariats avec des associations. Une première en
France que l’on doit en grande partie au combat de ce pourfendeur du gâchis,
dont l’engagement a été relayé par de prestigieux médias comme "LeMonde" ou encore le "Guardian", en Angleterre.
Pour couronner cette
victoire législative, l’élu de Courbevoie est invité jeudi 11 juin à l’Élysée.
Arash Derambarsh sera reçu par Patrice Biancone, le conseiller du président
chargé des relations avec les ONG. Une fierté pour l’élu qui devrait demander
l’aide de Paris pour mener son combat à l’échelle européenne. "Nous sommes
le premier pays au monde à obliger les supermarchés à redistribuer les
invendus. C’est incroyable ! Il faut que ça continue", s’enthousiasme-t-il
auprès de France 24.
Un système aberrant
Cet emballement pour la
cause, Arash Derambarsh explique l’avoir chevillé au corps depuis longtemps. Né
en France de parents iraniens ayant fui leur pays après la révolution
islamique, le jeune élu raconte qu’étudiant il n’avait pas beaucoup de
ressources. "Je gagnais environ 800 euros par mois. Mon loyer était de 400
euros. Il ne me restait que 400 euros pour le reste, les factures et la
nourriture. C’était peu." En grandissant et en s’engageant dans la voie de
la "res publica", le jeune homme se fait alors une promesse, celle d’éradiquer
la faim. Un projet pharaonique, un peu fou, qu’il n’a pourtant jamais
abandonné. "Beaucoup d’hommes politiques sont déconnectés de la réalité.
Je ne veux pas être comme eux, explique-t-il, il faut se battre, et pour se
battre, il faut aller sur le terrain."
Il expérimente donc le
milieu humanitaire en créant son association "Courbevoie 3.0". Il
fait du porte-à-porte dans sa ville auprès de Monoprix, Franprix, pour
récupérer la marchandise invendue, mais se heurte à chaque fois à une fin de
non-recevoir.
Seul Carrefour Market
conclut un marché avec lui. Nous sommes en janvier 2015. Trois fois par
semaine, les bénévoles pourront venir récupérer les invendus à 21h30 et les
redistribuer le soir même. "Ce que nous faisions était honorable mais
illégal. C’est là que j’ai réalisé que le système était complètement aberrant.
Chaque jour, chaque supermarché gâche plus de 40 kg de nourriture. Dans le même
temps, la classe moyenne a de plus en plus de problèmes économiques !", explique-t-il.
"C’était absurde, nous ne pouvions pas rester les bras croisés. Il nous
fallait une loi".
Une cause noble, un
communicant hors pair
Arash Derambarsh
s’engage donc dans la deuxième phase de son combat : l’action médiatique. En
janvier de la même année, il lance avec le réalisateur français Matthieu
Kassovitz, son ami, une pétition sur le site change.org qui recueille en moins
de 16 semaines plus de 200 000 signatures. "Un record qui nous a aidés à
porter le projet aux portes de l’Assemblée". Pendant ces quatre mois de
pétition, les soutiens affluent. De nombreuses personnalités telles que Johnny
Hallyday, Bruno Gaccio, Omar Sy, Youri Djorkaeff ou encore Antoine et Emma de
Caunes frappent à sa porte.
Sa notoriété grandit
aussi vite que son programme contre le gaspillage alimentaire s’affine. Sa
communication se perfectionne. Ses interventions sont travaillées, ses réponses
fusent, scolaires, claires, précises. Comment les grandes surfaces vont-elles
se plier à la loi ? Rien de plus simple, affirme-t-il. "Tout fonctionnera
grâce à deux canaux de distribution". Il y aura les associations agréées
(Restos du cœur, Croix-Rouge…) qui pourront récupérer une partie de la
marchandise en respectant la chaîne du froid. Et il y aura les autres associations
qui répartiront, de leur côté, les invendus le soir même. Pour faciliter cette
deuxième option, Arash Derambarsh souhaite instaurer un droit opposable qui
permettrait à tout citoyen de créer une association pour ensuite s’adresser au
supermarché de son choix et récupérer la nourriture.
Certaines associations
alimentaires, pourtant, ne partagent pas ses méthodes. Elles redoutent
notamment les complications logistiques de la nouvelle loi : qui s'occuperait
du tri ? Qui s'occuperait des déchets liés à ce tri ? Par ailleurs, d'autres
observateurs voient avant tout dans son engagement un formidable coup de pub
médiatique. Mais l’élu ne veut pas passer pour un Rastignac cachant ses
ambitions politiques derrière une cause louable. "Je ne me présenterai à
aucune élection avant 2020 pour prouver la sincérité de mon combat",
explique-t-il. 2020, l’année des prochaines municipales, répondent ses
détracteurs…
Pour contrer ces
médisances, le conseiller municipal a fait de sa cause un sacerdoce. "Je
ne veux plus que la faim soit un problème. C’est peut-être naïf pour certains
pourtant mon combat ne l’est pas. Les lobbys me traitent de farfelu. Je me fous
de ce qu’ils pensent, moi, en quatre mois, j’ai obtenu une loi", lâche-t-il.
Les "lobbys" en question l’accusent surtout de s’être trompé de
cible. "La loi se trompe […] de sujet en visant la grande distribution,
qui ne représente que 5 % du gaspillage alimentaire", a regretté la
Fédération française de la grande distribution.
Qu’importe, c’est un
premier pas, rétorque l’élu de la République. Dopé par son succès, Arash
Derambarsh souhaite maintenant élargir son combat à l’Europe, et même à
l’Afrique. "J’aimerais lancer une nouvelle pétition dans toute l’Union
européenne, où 100 millions de personnes vivent sous le seuil de
pauvreté", explique-t-il. "Et après, oui, pourquoi pas l’Afrique ?
Avec mon programme, un tiers de la faim dans le monde pourrait être
éradiquée".
Une utopie ? "Je n’espère pas… Tout ce que j’aimerais
dire aux dirigeants européens aujourd’hui, c’est que s’il y a bien un seul
projet pour lequel ils devraient se battre, un seul projet à faire passer dans
leur vie, c’est celui-ci."
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