Louis-Ferdinand Céline, s’il vivait encore, n’aurait sans doute pas écrit des choses aimables sur Serge Klarsfeld. Il aurait même probablement déversé un tombereau d’ignominies sur le célèbre chasseur de Nazis. Serge Klarsfeld est Juif et Louis-Ferdinand Céline n’en épargnait aucun de sa vindicte obsessionnelle.
Dans le combat inégal entre Céline et Klarsfeld, c’est ce dernier qui vient de triompher. Céline a contre lui l’inconvénient majeur d’être mort. Mort depuis 50 ans exactement. Et c’est là tout le problème.
Comme tous les ans, le ministère de la Culture fait établir par des spécialistes une liste de personnalités ou événements à commémorer.
Vous savez ce que je pense de cette manie française de ressasser le passé (cliquez ici pour lire une note précédente).
La liste 2011 vient d’être publiée. Elle énumère 500 anniversaires : mort ou naissance de personnalités éminentes dans tous les domaines, artistique, littéraire, scientifique, politique. On y trouve aussi des dates marquantes de l’Histoire de France.
En cette année 2011, la liste mentionnait le nom de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, mort et enterré à Meudon en 1961, il y a un demi-siècle.
Serge Klarsfeld s’est étranglé en voyant figurer Céline dans la liste officielle validée par le ministère de la Culture. Il a aussitôt demandé que le nom de Céline soit retiré en déclarant : «La célébration de Céline torturerait nos mémoires d’orphelins d’une Shoah avant et pendant laquelle le talentueux délire de Céline a vigoureusement nourri la haine antijuive.»
Il est vrai que Céline n’avait pas attendu l’Occupation pour cracher son venin sur les Juifs, dans «Bagatelles pour un massacre» (1937) et dans «l’Ecole des cadavres» (1938). Ces deux pamphlets (qui avaient connu à leur parution un grand succès) sont effectivement ignobles. L’antisémitisme maladif de Céline s’est ensuite manifesté sans cesse dans de nombreux autres écrits virulents. Céline est allé si loin dans sa haine des Juifs que le régime de Vichy, pourtant peu farouche en la matière, en était embarrassé.
Ce qui n’a pas empêché l’écrivain d’accompagner la clique du Maréchal dans sa fuite en 1944-1945 à Sigmaringen. Dans son livre «D’un château l’autre», Céline raconte avec une ironie ravageuse l’équipée pathétique d’un régime en déroute. A la Libération, Céline fut condamné puis gracié et continua à écrire jusqu’à sa mort, il y a cinquante ans. Gallimard était devenu son éditeur. Céline a d’ailleurs les honneurs de la collection de «La Pléiade».
Le parcours idéologique abject de Céline est parfaitement connu. Mais son œuvre littéraire est unanimement reconnue comme l’une des plus novatrices du XXème siècle. Qui n’a pas lu «Mort à Crédit » ou «Voyage au bout de la nuit» passe à côté de monuments de la littérature. Céline est au niveau de Proust, Joyce ou Faulkner.
L'intention des auteurs de la liste du ministère n'était pas d'organiser le transfert au Panthéon des cendres de Céline à côté de celles de Jean Moulin. Il s'agissait seulement de mentionner, parmi beaucoup d'autres noms, un écrivain français majeur.
Mais Serge Klarsfeld, au nom de la Shoah, considère que Céline n’est pas digne de figurer dans une liste longue de 500 entrées, les anniversaires du calendrier 2011. Il en appelait à l’arbitrage de Nicolas Sarkozy.
C’est le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui a été chargé de donner raison à Serge Klarsfeld. Le ministre, homme cultivé et intelligent, s’est fendu d’une déclaration contrite, sans doute sa punition après des propos indulgents très critiqués à l’égard du régime de Ben Ali. Serge Klarsfeld a félicité le ministre pour son «courage».
Céline a été prestement retiré du catalogue commémoratif officiel, sans que le comité ayant choisi les noms ait été consulté ni même averti.
Céline est évincé post mortem, malgré son génie, à cause de son antisémitisme notoire.
Rassurez-vous : dans la liste, figurent toujours Eugène Scribe (dramaturge mort il y a cent ans), Henri Troyat et Hervé Bazin (romanciers nés il y a un siècle tous les deux).
La France a fait officiellement ce choix : oui à Scribe, Troyat et Bazin. Non à Céline.
Sur le nom de Céline, faites le test Google (encore un truc qui n’existait pas encore il y a un an, doit penser Valérie Pécresse...). Mettez-vous à la place d’un jeune Français voulant se faire une idée sur le meilleur et le pire de Céline.
Tapez tout simplement «Céline» dans le moteur de recherche. Vous tomberez aussitôt sur des pages et des pages consacrées à Céline. A Céline Dion, précisons-le. Ensuite vous trouverez des pages et des pages dévolues à Céline, la marque de prêt-à-porter féminin de luxe. Sur Google, apparaît ensuite la chanson d’Hugues Auffray intitulée «Céline» et ces paroles : «Dis-moi, Céline, les années ont passé...»
Oui, pour Louis-Ferdinand Céline, les années ont passé, 50 exactement depuis sa mort. La France de la culture officielle l’a effacé comme l’URSS de Staline faisait disparaître les personnages bannis des livres d’Histoire et des photographies, habilement retouchées.
Serge Klarsfeld appelle ça du «courage». Cela ressemble aussi à de la censure.
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